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Au combat !

Dans la précipitation de la panique après les attentats en série qui frappent le monde, nous voudrions tous agir maintenant. Mais terrés derrière nos écrans, nos larmes ou nos tasses de thé nous sommes plus rapides à pleurer qu’à comprendre.

Ces attentats nous font mal, parce qu’ils nous informent que nous ne sommes plus en sécurité. Qu’en sortant pour n’importe quelle banalité nous risquons de tomber sous l’éclat de la bombe jetée par l’illuminé le plus proche. Alors que faire ? Comment retrouver ce confort d’hier où sortir de chez soi n’avait rien d’un acte politique ? Comment se remettre sur le chemin de la paix en évitant les amalgames et en se montrant réellement unis pour finir réellement vainqueurs ?

Ce qu’il faut, c’est accepter le combat. Sommes-nous en guerre ? Guerre internationale ou guerre civile ? La question n’est pas de nommer ce qui nous arrive, mais de le comprendre. Nous vivons sous la menace, la Belgique est immobilisée depuis quelques jours, effleurée par cette épée glaciale, la peur de l’attentat. Cette menace, il ne faut d’abord pas la nier. Les attentats ne sont pas une calamité qui tombe subitement et s’en va tout aussi vite. Il ne faut pas non plus les interpréter comme une fatalité, une colère divine sur laquelle nous n’aurions aucune prise. Ce sont les signes d’un mal qui risque de durer, mais sur lequel nous avons un pouvoir.

Les terroristes sont dans une logique irrationnelle d’apocalypse et de salut. Nous sommes dans une logique temporelle de souffrances parfois, mais de construction. Nous avons le privilège par rapport à eux de nous sentir maîtres de notre futur. Aucune armée de vierges, aucun paradis flamboyant ne préside à notre sacrifice. Tant mieux pour eux s’ils conquièrent les cieux par la folie, tant mieux pour nous si nous défendons la terre par la raison.

Défendre, mais comment ? S’engager dans l’armée ? Dans la police ? Crier sur tous les réseaux sociaux « mort aux terroristes » ? Ne nous précipitons pas, et regardons ce que nous pouvons faire de mieux. Chacun, à notre mesure, nous avons notre fonction dans la toile immense de la société. Le boulanger, l’étudiant, la jeune mère, le politique, tous, nous avons quelque chose à faire, là maintenant, et que le traumatisme parfois nous empêche d’accomplir.

Alors, ce dont il faut se rappeler, c’est notre unité. Nous ne sommes pas des individus isolés projetés ensemble sur un même territoire. Qu’est-ce que le pays ? Avant d’être des frontières, des bureaux et des navires, des armes et des immeubles, le pays c’est nous. Nous dépendons tous de ce que fait l’autre, pour composer notre petit déjeuner comme pour prendre le train ou l’autoroute. Nous sommes un système organisé, dont chaque pièce sert à faire fonctionner l’ensemble. Saint Paul disait « le corps n’est pas un seul membre, mais plusieurs ». Nous sommes tous un membre de la France, et si en étant main nous nous efforçons de faire la tête, nous ne la servons que maladroitement. En revanche si chacun s’applique à réaliser sa fonction le plus parfaitement possible, voilà une France solide qui combat de toute sa santé !

Nous ne serons vaincus que quand nous nous laisserons envahir, impuissants, inondant de sanglots les restes de notre courage et de notre volonté. Ce que les terroristes veulent, c’est nous détruire et s’imposer sur nos ruines. Qu’advient-il si nous ne cédons pas ? Qu’advient-il si, brique par brique, ils nous attaquent, mais que le mur reste entier et se reconstruit toujours ?

S’il faut dire qu’il y a une guerre, alors je m’y plierai, nous sommes en guerre. Mais pleurer n’est pas la meilleure manière de combattre. Nos grands-parents ont accepté avec dépit mais courage le cataclysme de 1939-1945, à nous d’accepter que les conflits de notre temps commencent à nous concerner. À nous de nous résigner à abandonner notre confort pour le combat. Pas forcément par les armes, mais juste par le réveil. Aux républicains de la dernière heure qui jouent à la guerre des idées sur Facebook, je dis : au combat ! À ceux qui annulent leur vie en se résignant à la peur des attentats, je crie encore plus fort : au combat ! Et pour toutes les fois où ivres de sommeils nous serons tentés de nous rendormir, n’oublions jamais ce mot d’Hegel : « C’est par le risque de sa vie que l’on conserve la liberté. » 


24/11/2015
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De Menton à Vintimille : la crise des migrants en question

Ce matin le camp de migrants à la frontière italienne a été démantelé.  La police italienne a démoli leurs logements de fortune pour les envoyer à Vintimille, la ville italienne la plus proche, afin de décider de leur destination future. De vives tensions entre des activistes venus en aide aux migrants et les forces de l’ordre agitaient la frontière depuis le matin. Les migrants se sont réfugiés dans les enrochements voisins et s’y sont tenus toute la journée. En fin d’après-midi l’évêque du diocèse a proposé de les accueillir dans les locaux de la Croix-Rouge à Vintimille.  Cette intervention pour le moins abrupte des carabinieri pose la question du respect de la légalité et de la défense des droits de l’homme vis-à-vis des réfugiés en Europe.

Le camp existe depuis quatre mois, il a été aménagé pour assurer du confort aux migrants. Des bénévoles, militants du mouvement No Borders, leur ont régulièrement porté de la nourriture, des vêtements, et leur ont dispensé des cours de français, d’italien ou d’allemand. Après une journée de vives tensions envers la police, la plupart des militants se sont déplacés à Vintimille avec les migrants. Ils s’insurgent contre la destruction du camp et le déplacement à la Croix-Rouge. Selon eux, la solution provisoire du camp permettait de penser la situation des réfugiés à plus long terme, de leur assurer un confort minimal en attendant leur départ. Les bâtiments plus étroits de la Croix-Rouge et la distance entre Menton et Vintimille ne leur permettront plus de recevoir de l’aide alimentaire ni vestimentaire.

Pour passer d’Italie en France par le bord de mer, on ne pouvait pas manquer le camp de migrants qui nous rappelait à chaque fois la réalité de la crise. Désormais des locaux clos dans une ville plus large permettent moins de visibilité et moins de conscience de leur situation.

Décryptons un peu plus la condamnation par les militants de la destruction du camp. La démolition de ce matin n’a pas été un coup  de force, ni une insurrection illégale, mais une action officielle de rétablissement de l’ordre. Les installations mises en place pour les réfugiés, quoique leur garantissant un meilleur-être, n’étaient pas prévues par la loi, ces migrants étant pour l’essentiel clandestins. La réaction du pouvoir italien est donc légitime, en termes de raisonnement strict sur la légalité. Blâmer cette démolition revient donc à dénoncer le rétablissement de l’ordre dans une situation de légalité bafouée.

Bien entendu, perdre tout vêtement, toute nourriture et tout soutien du jour au lendemain relève de l’horreur véritable. Songeons que nous sommes assis devant nos ordinateurs à communiquer en ayant la certitude d’avoir prochainement un plat chaud et un lit pour dormir. Eux ne savent pas s’ils auront prochainement l’occasion de se laver, de manger ou de dormir. Pourtant ils ne sont pas moins méritants que nous, ne sont pas coupables d’un péché transcendant leur privant de toute humanité, ils sont simplement nés de l’autre côté de la Méditerranée. Ce n’est pas pour moi un assez grand crime pour être privé d’une existence souveraine.

Mais les conflits s’embrasent encore et la prospérité économique de l’Afrique de l’Est ne semble pas en voie de redressement immédiat, les résidents continueront donc à idéaliser l’Europe et à se lancer à grands risques dans la traversée.

Bien entendu en tant qu’humains nous devrions accepter sans conditions de secourir nos frères, comme nous aimerions être secourus si tout était arrivé de notre côté de la Méditerranée. Seulement une migration n’est pas un voyage. Les installations de ces migrants tendent au définitif. Et elles vont croissant, ainsi si l’Europe acceptait tous les réfugiés elle changerait radicalement de visage – et très vite.

Comme on le voit en Allemagne, où l’accueil des réfugiés a récemment été prôné par la chancelière, la gestion du flux entrant de réfugiés s’avère matériellement incommensurable. Des villes comme Erfurt, qui avaient accueilli d’étrangers auparavant, doivent se restructurer avec ces arrivées massives. Trouver des lieux pour les loger, des emplois pour qu’ils soient nourris à long terme, des formations pour qu’ils apprennent à s’intégrer, tout cela met en branle les structures habituelles de la ville et nécessite des moyens gigantesques. Militer pour l’accueil des migrants sans conditions, c’est aussi accepter de travailler nuit et jour pour leur assurer une intégration pérenne.

De plus, cette acceptation inconditionnelle simule l’attraction des migrants pour un lieu donné. On a vu les réfugiés en Hongrie crier « Germany ! Germany ! » dans les trains bondés pour l’Allemagne. Accepter les migrants, c’est appeler d’autres migrants. Et donc plus de travail pour les intégrer, et ainsi de suite jusqu’à saturer absolument.

Il faut donc bien – à mon sens – se rendre compte de cette ambivalence avant de se prononcer pour ou contre : nous avons le devoir moral de secourir ces hommes et ces femmes, mais nous avons l’impossibilité matérielle et politique de leur assurer un asile à long terme.

Il ne faut jamais cesser de considérer les migrants comme des humains, ou nous deviendrons nous-mêmes inhumainement cruels, comme disait Lévi-Strauss, « le barbare, c’est celui qui croit à la barbarie ». Mais ne faisons pas une confiance démesurée en nos droits de l’homme légendaires, qui risqueraient de transformer l’Europe en un chaos généralisé. L’urgence presse nos frontières, c’est certain, mais ne nous laissons pas bousculer et soupesons précisément chaque argument avant de nous lancer dans des décisions que nous regretterions. 

 


30/09/2015
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